Si bien peu de gens ont lu les "Eléments d'Euclide", une somme qui est restée la base de la géométrie jusqu'à nos jours, tout le monde a plus ou moins transpiré sur quelques figures tracées à la règle et au compas, sur les cas d'égalité des triangles, sur le théorème de Thalès et les parallèles, et il faut bien avouer que pour beaucoup, la géométrie s'arrête là, aux points, aux droites aux triangles et aux cercles. Quelques-uns s'aventurent au-delà dans le coin des polyèdres, et se perdent à jamais dans la jungle des icosaëdres, dodécaèdres rhombiques et autres formes utiles au cristallographe... Quant aux formes gauches comme la trajectoire d'un oiseau flanant dans le ciel, la courbe d'une vague déferlante, les hanches de la Danaïde de Rodin, elles semblent définitivement hors d'atteinte de toute méthode simple de construction, de toute tentative de description unitaire.
La forme courbe la plus simple est le cercle que l'on sait tracer à l'aide d'un piquet et d'une corde de longueur constante ; et la surface de la sphère est construite de la même façon. Mais vu de biais un cercle n'est plus un cercle et apparemment plus rien n'est constant, ni la distance de chaque point au centre, ni la courbure en chaque point, et le problème se pose de sa construction directe sur un plan sans référence au cercle dont elle est la vue biaise. Cette courbe que l'on appelle « ellipse », présente deux symétries par rapport à deux axes orthogonaux et l'idée est venue un jour de marquer deux points sur le grand axe, symétriques par rapport au petit et de faire coulisser une corde fermée tendue en triangle entre ces deux points et un point quelconque de l'ellipse ; par tatonnements successifs, il est apparu que pour une position particulière de ces deux points, la longueur totale de la corde restait constante et on appela ces deux points les foyers de l'ellipse. On venait ainsi de trouver la construction d'une courbe généralisant le cercle et son rayon constant ; le monde des courbes contrôlées de courbure variable était désormais ouvert.
Mais une autre courbe attirait également l'attention des géomètres, la courbe suivie (en première approximation) par un caillou lancé de biais en l'air ou par les jets d'eau puissants d'une fontaine. Cette courbe, qu'on appelle parabole, ne se retournait pas sur elle-même comme l'ellipse à laquelle elle ressemblait localement, et semblait même partir à l'infini ! La construction de cette courbe qu'on avait fini par découvrir était moins évidente que celle de l'ellipse et faisait intervenir un point sur l'axe de symétrie (appelé lui aussi foyer) et une droite orthogonale à cet axe (appelée directrice) ; rien à voir avec l'ellipse donc et encore moins avec le cercle. L'unification de ces courbes allait voir le jour avec la « Théorie des Coniques ».
La « Théorie des Coniques » que les Grecs nous ont révélée met en évidence de façon élégante et simple les relations fondamentales entre des courbes aussi différentes en apparence qu’un cercle, une ellipse et une parabole : toutes ces courbes sont des coniques, des sections d’un cône à base circulaire par un plan plus ou moins incliné par rapport à l’axe du cône. C'est tout, mais il fallait faire l'effort de sortir de l'espace à deux dimensions où se trouvaient ces trois courbes et raisonner dans un espace à trois dimensions où il serait possible de décrire un cône et ses intersections avec un plan. "Pensez différemment !", clé de la solution, comme le rappelait Bernard WERBER.
Et comme c'est souvent le cas, la fenêtre ouverte sur un nouvel espace faisant apparaître de nouvelles choses, en inclinant un peu plus fort le plan d'intersection, on découvrit les deux arcs d'une nouvelle courbe, l’hyperbole, le concept d'asymptote et au final une représentation unitaire de six éléments importants de la géométrie : le point, la droite, le cercle, l'ellipse, la parabole et l'hyperbole.
On connaît l'importance de Pythagore et de son théorème sur le triangle rectangle qui s'écrit en langage moderne : a2+b2=c2 ; on sait le désespoir des Pythagoriciens quand ils appliquèrent cette formule à la mesure de la diagonale d'un carré de coté 1 et qu'ils s'aperçurent (et démontrèrent) qu'il était impossible d'extraire sous la forme d'un nombre entier ou fractionnaire la racine carrée du nombre 2 ; ce nombre était tout à fait "irrationnel" et il était déraisonnable d'en parler ; point final. Ils en déduisirent qu'il devait être absolument interdit (sous peine de mort) de relier le monde de la géométrie à celui de l'arithmétique et il fallut attendre deux mille ans avant que Descartes transgresse cet interdit, associe systématiquement aux objets géométriques des relations entre nombres et en recherche l'"équation".