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architecture

acte d'architecture

J'ai trouvé un jour dans une revue d'archi une définition de l'acte d'architecture, faite par un non architecte (un maître d'ouvrage éclairé, je suppose) ; j'y ai trouvé beaucoup d'intérêt, et je vous en propose une lecture commentée.

Faire acte d'architecture c'est :

  1. participer à l'élaboration même du programme,
  2. savoir sublimer les exigences financières, acceptées comme facteur de création,
  3. trouver la parfaite adéquation entre la fonction et la forme dans la vérité de la structure,
  4. reconnaître la fonction symbolique contenue dans chaque fonction utilitaire,
  5. trouver le point d'insertion dans le site et le temps présents au travers d'une lecture contemporaine des solutions architecturales passées,
  6. et ne jamais parler de beauté que comme d'une valeur donnée par surcroît...

1 - participer à l'élaboration même du programme,

c'est se tremper dans la réalité, tenter de comprendre ce dont a besoin le maitre de l'ouvrage à travers ce qu'il exprime dans un discours souvent aliéné, tenter de rendre cohérents les besoins et les moyens; poser correctement le problème, c'est déjà en deviner la solution; c'est là que l'architecte doit avoir d'autres connaissances que celles propres de l'art de construire, c'est là que son expérience du monde lui est d'un grand secours. En clair, on ne peut pas faire l'économie de la mise au point du programme si l'on désire un bon résultat architectural. Un programme monstrueux aboutira à une horreur ou à un monument suivant que le programme aura été digéré, approprié et transcendé, ou non.

2 - savoir sublimer les exigences financières, acceptées comme facteur de création,

c'est avoir une fois pour toutes compris que dés les fondations il faut que chaque sou soit utilisé au mieux: l'économie des moyens est un facteur primordial, tout acte "gratuit" coûte cher et éloigne du résultat à atteindre; Mies Van der Rohe concevait suivant le principe "Less is More", comme tous les constructeurs des temps passés en dehors de certaines époques décadentes ou baroques. Et comme pour tout il faut tempérer tout celà avec un peu d'humour comme le fait l'architecte "baroque" Moore qui proclame que "Moore is more"...

3 - trouver la parfaite adéquation entre la fonction et la forme dans la vérité de la structure,

c'est le tiercé classique des études d'archi où l'on peut s'étriper entre architectes sur la priorité à donner à la fonction (fonctionnalisme ), la forme (formalisme ) ou à la structure (structuralisme ). Tout ce qu'on sait est qu'on ne peut faire l'impasse sur aucune, et quant à la priorité, il suffit de se rappeler que par ses discours, Le Corbusier apparaissait fonctionnaliste ( cf la charte des CIAM et le classement en espaces bien distincts: travail, repos, culture, circulation, etc...), brutaliste dans son utilisation de la structure ( exprimession marquée des efforts, des poteaux, poutres et remplissages, des lits de briques, etc...), ... qu'il a surpris tout le monde en construisant la chapelle de Ronchamp qui est une forme pure, et que certains ne manquent pas de noter dans presque tous ses bâtiments un certain manque de fonctionnalité et quelques insuffisances dans la mise en oeuvre...

4 - reconnaître la fonction symbolique contenue dans chaque fonction utilitaire,

c'est ici que l'architecture dépasse le simple aménagement raisonné de l'espace et le simple art de bien construire; c'est là que le bâtiment va avoir ou non une âme, c'est là qu'il va chanter ou qu'il va rester muet. Le concepteur de l'arche de la Défense (Sprekelsen) s'est trouvé devoir construire les piles de son "pont" sur un entrelacs complexe de voies de circulation et d'infrastructures existantes qui imposait un fâcheux désaxement dans la composition. Alors qu'il paraissait évident pour beaucoup que l'arche devait être parfaitement dans l'axe des Champs Elysée, il a fait de ce désaxement un élément fort de sa composition, sorte de contre-point au désalignement que présente le Louvre lui-même. Une vue de face n'est-elle pas souvent meilleure quand elle est légèrement profilée? L'originalité en architecture, ce n'est pas rechercher la différence, c'est accepter la différence quand elle devient une solution évidente; on s'insère dans la trame existante, et on la casse éventuellement là où cela devient nécessaire, pas pour faire joli; on ne part pas avec la cassure en tête (contraire au principe d'économie), on termine avec la cassure pour boucler le problème de façon cohérente là où sans cette cassure on n'aurait pu proposer au mieux qu'un cache-misère.

5 - trouver le point d'insertion dans le site et le temps présents au travers d'une lecture contemporaine des solutions architecturales passées,

c'est ne pas travailler dans le style des anciens, mais bien dans l'esprit des anciens, c'est ne pas imiter leurs solutions qui ne sont souvent plus d'actualité, mais c'est imiter leur attitude devant les problèmes qu'ils ont eu à traiter, c'est ne pas perdre son temps à savoir si l'architecture contemporaine est ou n'est pas digne des sites anciens, c'est produire partout de l'architecture contemporaine qui deviendra un jour de la bonne architecture ancienne, avec les risques de se tromper bien sur, tout comme les anciens...

6 - et ne jamais parler de beauté que comme d'une valeur donnée par surcroît...,

c'est la fin du voyage quand tout s'est bien passé, et donc qu'on a traité les vrais problèmes, en évitant de cacher de mauvaises solutions par quelques gestes plus ou moins "esthétiques". C'est rester modeste pendant toute la conception, pour donner une chance à l'oeuvre bien faite de se révéler en plus sympathique, charmante, et pourquoi pas, parfois, superbe !

Voilà pour ces quelques principes dont il n'est pas interdit de tirer une attitude devant toutes les questions et les doutes qui nous assaillent. Le métier d'architecte est dur, assez incompris, rarement reconnu en dehors des quelques stars médiatisées. Même quand les clients sont contents (quand le service de base est rendu), les bâtiments vraiment réussis sont rares. Pourquoi alors tenir autant à ce métier au point de continuer à le faire même dans des conditions difficiles ? La réponse est simple: c'est parce que, comme tout métier basé sur les désirs de "connaître" et de "faire", c'est un vrai métier, un métier complet, un métier qui rend libre. Et par rapport à bien d'autres types d'études, les études d'architecture c'est le vent du large qui ouvre d'autres horizons (et évacue les certitudes étroites), et la vie d'architecte, c'est, les pieds dans la boue et la tête dans les nuages, l'art de bien traiter des problèmes mal posés, avec l'espoir que le résultat sera bon.

Alain Marty

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